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Le cuir : n’est pas cuir qui veut

Publié dans Expertise Métier le 02/12/2019 par Thierry Poncet
Aussi noble que populaire, le cuir est un matériau très convoité, que certaines imitations prétendent remplacer. Mais encore faudrait-il que ces nouveaux matériaux puissent offrir les mêmes performances !

Imiter le cuir a été une activité récurrente dans l’Histoire, avec des réussites comme la moleskine au début du 19e siècle (tissu de coton épais et très dense, gratté rasé, qui ressemble à la peau de taupe, dont il tire son nom). Puis, il y eut l’invention des matières synthétiques, qui se faisaient fort de remplacer n’importe quelle matière, dont le cuir. On parlait alors de "similicuir" ou de "cuir synthétique". C’étaient les années 60.


Quarante ans plus tard, une nouvelle génération de matériaux se réclamant du cuir a fait son apparition sous la bannière du véganisme. Cette fois, ce n’est plus la passion de l’innovation qui guide la recherche, mais une idéologie qui vise à combattre l’exploitation animale. Pour mener ce combat, les vegans promeuvent une consommation exempte de toute matière d’origine animale, dont le cuir. C’est ainsi que sont apparus des matériaux autoproclamés "cuirs vegans", à base de fibres d’ananas, de champignon, de liège, de caoutchouc, de polyuréthane, de cellulose, etc.


Au contact de ces matières qui veulent se substituer au cuir, on est surpris par la distance qui les sépare de leur modèle. Elles n’en ont ni la rondeur, ni la solidité, ni la beauté, ni la respirabilité ou l’adaptabilité… aucune des qualités qui caractérisent le cuir. Elles ne le revendiquent pas d’ailleurs ! Le fait d’être inconfortables ou "cartonneuses" ne nuit pas nécessairement à leur succès, qu’elles doivent essentiellement à la cause qu’elles défendent.
Dépouillées de leur idéologie, ces matières révèlent leur vraie nature : il s’agit très souvent d’amalgames à base de produits pétroliers. En un mot, pas grand-chose d’élaboré en termes de savoir-faire, et surtout, rien de bien écologique. Quant aux propriétés techniques, ces nouvelles matières ne peuvent pas toujours rivaliser avec celles du cuir, qu’elles prétendent pourtant remplacer.

N’est pas cuir qui veut. Il est temps de redéfinir ce qu’est vraiment cette matière, incomparable à bien des égards.

 

DÉFINITION RÉGLEMENTAIRE DU "CUIR"

L’appellation est protégée par le décret français n° 2010-29 (+ arrêté du 8 février 2010), qui stipule que le cuir est le produit obtenu de la peau animale au moyen d’un tannage ou d’une imprégnation, qui le rendent imputrescible, conservant la structure naturelle des fibres de la peau, et ayant conservé tout ou partie de sa fleur, qu’elle soit lisse, velours, ou avec poils.

Un déchet anobli


Le cuir provient d’un déchet de l’industrie agro-alimentaire et, précision importante, l’animal n’est pas tué pour sa peau. La consommation mondiale de viande étant en croissance, le nombre de peaux disponibles augmente. Ce gisement doit être traité et refuser de valoriser des déchets (au nom d’une idéologie hostile à ce qui a produit ces déchets) est un contresens écologique. Non seulement cela augmente la masse des rebuts, dont il faut bien faire quelque chose, mais cela oblige également à utiliser d’autres matériaux pas nécessairement renouvelables.
De la peau-déchet va sortir une matière noble : le cuir. 


Au contact d’agents tannants, la peau devient imputrescible et se transforme en un matériau très durable, possédant de nombreuses propriétés. Cette capacité de la peau à se transformer en cuir a été repérée dès la Préhistoire. Elle a donné lieu depuis à de nombreuses recherches, afin de comprendre ce phénomène et d’en améliorer le processus, et cela, à travers toutes les époques, cultures et continents, tant l’usage du cuir a paru fort utile.

 

Le chrome en question


Que n’a-t-on pas dit sur la pollution générée par l’activité de tannage ! Il est certain que cette activité n’est pas neutre. Elle est cependant strictement encadrée par la loi. D’autre part, son impact est à mettre en comparaison avec celui que généreraient l’incinération ou l’enfouissement technique des peaux non utilisées, sans compter la fabrication des objets qu’il faudrait réaliser avec d’autres matières.
Ces dernières années, le tannage au chrome a suscité de nombreuses réactions dans les médias. Ces derniers préfèrent en effet communiquer sur l’aspect naturel d’un tannage végétal, en opposition au tannage minéral à base de sel de chrome. Effectivement, dans certaines conditions, les cuirs dont la fabrication ne respecte pas les bonnes pratiques de la profession peuvent générer des allergies. Environ un millième de la population y serait sensible, justifiant de la mise en place d’une réglementation européenne dans le cadre du règlement REACh, en vigueur depuis 2015. L’adoption de mesures et la mise en place de contrôles a permis la prise en compte de ce phénomène. En France et en Europe, des efforts sont réalisés depuis de nombreuses années pour maîtriser l’abattement du chrome dans les effluents conformément aux normes en vigueur.Certains tanneurs ont d'ailleurs développé des tannages sans chrome, dits tannages synthétiques, pour certaines applications particulières. Le tannage au chrome, inventé il y a plus de 150 ans, reste de loin le procédé le plus répandu et il y a des raisons à cela. Infiniment plus rapide que le tannage végétal et pour un prix plus avantageux, le tannage au chrome permet d’obtenir des cuirs très résistants à la traction et à la chaleur, des cuirs plus souples, que l’on peut teindre dans une large palette de couleurs.


En tant que procédé extrêmement rapide, le tannage au chrome permet de notables économies en eau et en énergie. Enfin, les propriétés qu’il confère au cuir ont ouvert à celui-ci des débouchés variés, à travers la création de produits de qualité dans de nombreux domaines, tels que l’automobile et l’aéronautique, le sport, les équipements de protection individuelle, l’ameublement, le vêtement, le gant, la chaussure et la maroquinerie.
Tannage végétal : le vrai du faux ?


Aujourd’hui, le tannage végétal bénéficie d’un certain capital de sympathie. Le cuir à tannage végétal a été appelé, par commodité, "cuir végétal". Mais lorsque est apparu le courant vegan, certains ont pu y voir une opportunité pour flatter ce nouveau public. Très vite cependant, la confusion entre "cuir végétal" et "cuir vegan" est devenue inacceptable. Le décret n° 2010-29 relatif à l’étiquetage des articles comportant du cuir ou similaire est venu mettre de l’ordre dans les appellations… avec plus ou moins de succès. Il n’est donc pas inutile de le rappeler : le cuir à tannage végétal est bien un cuir à part entière. Le "cuir  vegan" n’existe pas. Il convient de parler de matériaux vegan, qu’ils soient d’origine pétrolière, végétale ou minérale.


Toujours prompte à trouver aux plantes de multiples vertus, l’opinion générale est très favorable au cuir à tannage végétal en raison de ses qualités d’innocuité pour la santé. Avec son odeur caractéristique, ses teintes chaleureuses qui s’approfondissent au fil du temps, et ce "savoir-vieillir" qu’on appelle patine, le cuir à tannage végétal incarne l’essence même de ce matériau séculaire qui habite la mémoire collective. Mais ceux qui apprécient les cuirs à tannage végétal savent-ils qu’ils sont plus gourmands en eau et en énergie que les cuirs tannés au chrome ? Et que la variété des couleurs est plus limitée que sur du chrome ou du synthétique ? Quoi qu'il en soit, le tannage végétal bénéficie d’un courant porteur et de nouvelles formules ont fait leur apparition, à base de graines ou de feuilles, notamment d’olivier ou de rhubarbe. 

Enfin, la force du tanneur c’est aussi de mélanger ces tannages et retannages pour faire des produits uniques. Il n’y a donc pas un seul tannage qu'il soit minéral, synthétique ou végétal, mais une palette de possibilités qui fait toute la complexité et la subtilité du savoir-faire des tanneurs mégissiers pour conférer à un cuir des propriétés particulières.

 

Affinités épidermiques


Il y a des contacts qui sont comme de vraies rencontres, qui font du bien et qui ne s’oublient pas. Parmi elles, le cuir, qui par sa douceur pleine de fermeté, sa souplesse, son animalité, sa force aussi, offre des propriétés sensorielles séduisantes. 


Il établit une sorte de dialogue tactile avec celui qui le prend en main, dans une affinité peau à peau.


Qui plus est, naturellement anti-odeur et respirant, le cuir est une matière saine et bénéfique. Son usage dans l’équitation le prouve. Pour protéger l’animal contre les irritations et les blessures possibles dues aux frottements, à la transpiration, aux intempéries, à l’échauffement, on n’a jamais trouvé mieux que le cuir.


Ce dernier est parfois même validé par le milieu médical. C’est le cas de la peau lainée. Grâce à sa structure épaisse et très respirante, et par son tannage végétal à base d’écorce de mimosa, la peau lainée médicalisée s’adresse aux bébés, aux personnes handicapées, et à toute personne susceptible de développer des escarres. Rappelons également que l’insert en microfibre rembourrée de gel que l’on incruste à l’intérieur des cuissards de vélo, et que l’on appelle "peau de chamois", était à l’origine justement en cuir chamoisé, c’est-à-dire tanné à l’huile de poisson.

 

EN CE QUI CONCERNE LES CUIRS EXOTIQUES

Le développement durable et la traçabilité sont au cœur des préoccupations des filières de cuirs exotiques : protection des écosystèmes et de la biodiversité, conservation des espèces, bientraitance animale, relations avec les populations locales, conditions de travail et protection de l’environnement, autant de critères qui viennent se combiner avec une traçabilité issue d’une règlementation très normée au plan international et les demandes des clients sur l’origine des matières. Si la peau est le principal élément de la chaîne de valeur, la viande des espèces de crocodiliens ou autres reptiles est également vendue et très appréciée dans certaines régions du monde comme l’Asie, l’Afrique, voire les États-Unis.

Le cas des crocodiliens : à la fin des années 1960, la plupart des espèces de crocodiliens étaient en voie de disparition, du fait de la chasse par volonté d’éradication. Durant la décennie suivante, la Convention de Washington a émis des réglementations restrictives sur la chasse et encadré la pratique de l’élevage et le commerce des peaux. La création de la CITES (Convention on International Trade in Endangered Species of wild fauna and flora) a alors introduit la traçabilité unitaire des peaux, ainsi que la définition scientifique et encadrée des prélèvements d’œufs dans la nature à des fins d’élevage. La plupart des espèces concernées ont ainsi retrouvé un niveau de population sauvage équivalent à ce qu’il était dans la première moitié du XXe siècle, des écosystèmes ont été préservés et de nombreuses populations locales vivent aujourd’hui de ce commerce.

Le cas des pythons & lézards : le prélèvement d’animaux dans la nature est toujours autorisé, mais encadré par la CITES qui définit des quotas annuels. Des élevages se sont aussi développés, principalement pour le python.

Source : Fédération Française de la Tannerie Mégisserie

 

Une matière naturellement intelligente


Aujourd’hui, à la faveur d’un regain d’intérêt pour les matières naturelles, dans le domaine du sport notamment, on est amené à découvrir (ou re-découvrir) des propriétés que l’on pensait être l’apanage exclusif des matières synthétiques. Ainsi, il est intéressant de remarquer que ces dernières ont entraîné la création d’un lexique sur-mesure, qui laisse à penser que les propriétés ainsi désignées n’existaient pas avant. Qui parlait "d’imper-respirabilité" avant que Goretex ne crée sa première membrane ? L’imper-respirabilité a été saluée, dans les années 80, comme une innovation majeure et très sophistiquée. Car, pour qu’une matière synthétique soit imper-respirante, il faut lui ajouter une membrane, mais aussi un traitement déperlant. Cette propriété si utile est en fait le fruit d’un empilement de technologies. On pensait n’avoir jamais vu ça auparavant, et pourtant, le cuir, depuis toujours, faisait naturellement de "la respirabilité sans le savoir". C’est pour cette raison, mais aussi pour son prêtant (adaptabilité), que le cuir est et reste un matériau idéal pour la chaussure.

 

Innovant par tradition


Bien qu’utilisé depuis des milliers d’années, le cuir continue à évoluer et innover. Confronté dans les années 60 aux élastomères, les premiers et les plus redoutables de ses imitateurs, le cuir a su s’en faire des alliés, en combinant ses propriétés avec celles des polymères. Ainsi, 
le couple tige en cuir et semelle-talon en élastomère, marche à merveille pour la chaussure : adaptabilité (grâce au sens du prêtant) et respirabilité de la tige ; souplesse, confort et résistance pour la semelle. Quand la mode du stretch s’est imposée, le cuir a su également apporter une réponse grâce à une astucieuse combinaison de tissu élastique laminé sous tension avec un cuir très fin. Parallèlement, le cuir lavable en machine a comblé une attente contemporaine de simplification des tâches ménagères. Sur le plan du design, le cuir continue à étonner, avec des couleurs plus brillantes et plus éclatantes que jamais, des touchers et des grains inédits, des vernis thermochromiques... On peut également évoquer des inclusions de diamants et des métallisations avec des particules d’or, de platine et d’argent… Innovations prestigieuses propres à répondre aux attentes du luxe, qui honore la France et participe à son rayonnement international.
Confrontés aux exigences de marchés très pointus, les professionnels du cuir sont soumis à des réglementations très strictes en matière d’environnement, d’innocuité, de conditions de travail et de traçabilité, mais aussi de bientraitance animale. 


Définitivement, n’est pas cuir qui veut !

 



Pour plus d’informations, contactez :

Thierry Poncet
Responsable département cuir
tponcet@ctcgroupe.com

 

 

 

 

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